Partie 1
Cet article va s’appuyer sur un vocabulaire et un référentiel issu des livres de Nassim Nicholas Taleb. Nous recommandons la lecture de « Cygne Noir », ainsi que « Antifragile » qui sont deux de ses ouvrages.
Nous allons dans les lignes qui suivent, tenter de vous expliquer notre point de vue sur les caractéristiques d’une procédure qui a pour finalité d’évoluer dans ce que l’on pourrait appeler le paroxysme de l’incertitude : le combat.
Selon Taleb, il existe deux mondes : le Médiocristan, et l’Extremistan.
Le Médiocristan pourrait être défini comme un endroit qui connait une multitude de variations, mais dont aucune n’est extrême.
Ce sont souvent des environnements normés, où une certaine prédictibilité est possible.
Pour ramener cela au monde du tir, cela pourrait être une compétition de tir.
L’Extremistan quant à lui, serait sujet à peu de variations, mais lorsqu’elles arrivent, ces dernières sont extrêmes.
L’amplitude, la fréquence, et le calendrier des ces changements sont imprédictibles, on les appelle les Signes Noires.
Le vieil adage militaire qui nous dit que le premier mort de la guerre c’est le plan, nous montre à quel point le combat est la quintessence de l’Extremistan.
Pour survivre dans un tel contexte, résister aux premiers chocs, être robuste, ne suffit pas. Il faut être anti-fragile.
L’élément anti-fragile non content de résister, va muter pour combattre plus efficacement le même type d’agression.
La nature et donc le corps humain est par nature anti-fragile. Lorsque nous sommes contaminés par un virus, le corps ne va pas seulement résister au virus, il va produire des anti-corps afin de ne plus être malade lors de la contamination suivante.
Le robuste s’affaiblit au fil des épreuves, alors que l’anti fragile se nourrit de ces dernières pour devenir plus fort.
Mais pourquoi accorder autant d’importance aux procédures dans un monde par nature incertain ?
Car cet environnement va nous plonger dans des états de stress plus ou moins intenses, brouiller nos capacités cognitives, et donc in fine, amoindrir notre capacité à discerner.
Seul celui qui dispose d’une ligne de vie, que l’on nommera procédure sera capable de garder le cap dans le brouillard de la guerre.
Maintenant que les thermes sont définis, voyons a quoi cela pourrait ressembler.
Un tireur cherche à déterminer la distance de son objectif. Imaginons qu’il ait le choix entre deux méthodes :
Mettre un coup de télémètre
Estimer la distance à l’oeil, puis mettre plusieurs coups de télémètres
La procédure numéro 1 sera évidemment la plus courte et la plus simple à mettre en place.
Mais un signe noir arrive : ce peut être une IEM (Impulsion Electro Magnétique, qui rendra hors service le télémètre) ou tout simplement, une branche sur le parcours du laser.
Seul le tireur a qui l’on a enseigné la méthode numéro 2 saura donc faire face à ce signe noir.
Maintenant imaginons un autre cas de figure: le tireur dispose de moins de 3 secondes pour estimer la distance.
Si on s’en tient à la lettre des deux procédures, aucune des deux n’est capable de répondre à cet impératif.
Mais si le tireur est conscient que la méthode numéro deux n’est pas un carcan à appliquer stricto sensu, mais le fil rouge d’un processus qui peut être interrompu ou complété dans le but d’accomplir le but qui anime cette méthode ; alors il sera capable d’interrompre le processus, et de simplement estimer la distance à l’oeil afin de répondre à la contrainte du moment.
La clé réside donc dans la compréhension qu’a l’utilisateur des mécanismes sous jacents à la création de la procédure, afin qu’il soit capable de la faire évoluer selon les situations.
Lorsque l’on vit au Médiocristan, que l’on tire uniquement sur des terrains bien dégagés avec une butte de terre derrière chaque objectif, adopter la méthode numéro 1 semblera le plus efficace, car le plus rapide avec une erreur moyenne minime.
Mais lorsque l’on vit en Extremistan, où tout peut arriver, il va non seulement falloir une procédure robuste (exemple : deux sources d’informations différentes de la distance de ma cible), mais une procédure anti fragile. C’est à dire qu’elle doit pouvoir s’adapter en permanence au contexte, pour fournir une réponse plus efficace.
L’antifragilité ne réside donc pas dans la procédure en elle même, mais dans la façon dont l’apprentissage de cette dernière a été effectué.
Pour cela il est important de ne pas formater (donc enfermer dans), mais d’éduquer (du latin educere : aller vers). C’est à dire chercher à conduire à l’autonomie, en faisant comprendre les éléments qui ont codifié le contenu de l’apprentissage.
Concrètement la méthode numéro deux ne devrait pas être expliquée sans avoir dit au préalable : « l’objectif de cette procédure est de croiser au maximum les informations que nous avons, pour trouver dans le temps imparti, avec les moyens que nous disposons à ce moment là, une distance qui nous permettra de faire but. »
Ainsi le tireur pourra à sa convenance, s’arrêter à l’estimation à l’oeil si le temps ou les moyens ne lui permettent que cela. Si le temps disponible pour trouver la distance est important il pourra rajouter une télémétrie avant et après l’objectif pour confirmer les mesures précédentes, ect..
Méfiez vous des procédures trop optimisées. Elles ne peuvent être valables que si elles sont la déclinaison temporaire d’un apprentissage possédant une base plus large, et pouvant être réactivée à tout moment.
A l’ère du résultat immédiat, de la sur-spécialisation, il est important pour ceux qui évoluent en Extremistan de ne pas chercher la performance immédiate, mais bien l’antifragilité. On affute une compétence comme l’on affute un couteau, suffisamment pour couper, mais pas suffisamment pour fragiliser la lame.
Mais à la guerre, me direz-vous, les informations relatives aux changement de contextes brusques peuvent être trop importantes, provoquer la mort du tireur, avant que celui ci n’ait eu le temps de la faire muter.
C’est donc naturel de parfois chercher à faire des ajustements en amont .
Dans ces cas là, l’antifragilité de la procédéure ne doit pas se jouer au niveau individuel, mais au niveau collectif.
Une fois l’esprit de la procédure bien ancré en tous, il faut laisser les membres développer des variantes en autonomie. Ces variantes seront très certainement légèrement différentes les unes des autres, mais ce sont ces différences qui vont éviter que tout le monde fasse la même erreur.
Accepter la décentralisation au détriment de la rentabilité maximum, permettra l’émergence de plusieurs écoles de pensées. Les naïfs qui pullulent en temps de paix chercheront à les faire disparaitre, mais ce sont de formidables assurances lorsque les cygnes noirs apparaissent.
Dans la partie 2 nous chercherons à appliquer les principes exposés au choix des différentes méthodes de tir avec un fusil à lunette.
Nous vous laissons avec une citation de Paul Valéry : « La véritable tradition n’est pas de refaire ce que les autres ont fait, mais de trouver l’esprit qui a fait ces grandes choses et qui en ferait de toutes autres en d’autres temps. »
Les anciens pensaient sûrement que la tradition constitue la plus anti-fragile des procédures…
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